17 avril 2020 | Flash info COVID-19
COVID, Plaquénil, Raoult, essais, éthique et Pasteur
Abordons frontalement le problème qui fait polémique et pour lesquels beaucoup d’avis ont été émis, dont la pertinence laisse parfois à désirer…
J’en discute ici quelques-uns en sept points.
1 – Croire ou pas dans le Plaquénil ?
On lit aujourd’hui des phrases de médecins qui disent : « pourquoi ne pas le prescrire puisqu’on n’a rien d’autre… Moi, j’y crois ! ».
Depuis 40 ans, la médecine a quitté le domaine des « croyances » pour celui de la Preuve !
Comme je l’explique à mes étudiants, il n’est pas question en Médecine aujourd’hui de « croire », et je leur dis même de ne pas « croire » en leur professeur : il faut s’acharner à rechercher une preuve (en sachant en plus qu’en bon scientifique, on doit s’attendre à ce qu’elle puisse être contredite ultérieurement par une nouvelle expérience…).
Aujourd’hui, je ne sais pas si le Plaquenil est utile dans le COVID. Je n’ai pas de preuve qu’il l’est, ni qu’il ne l’est pas.
2 – Y a-t-il des arguments faisant espérer qu’il peut être efficace ? Comme anti-viral ?
Oui, et l’on comprend que D. Raoult et beaucoup d’autres s’y intéressent.
Que sait-on aujourd’hui ?
A -t-il un effet anti-viral ? Des études chinoises in vitro ont apporté des arguments dans ce sens. Comme dans la maladie d’Ebola. Mais, in vivo, cela ne s’est pas confirmé dans ce dernier cas.
D. Raoult a initié une première expérience (objet de polémique), chez des malades non graves, qui se voulait comparative (mais dont tout scientifique raisonnable admettra qu’elle ne remplissait pas les conditions pour l’être) et dont la conclusion était que le Plaquénil diminuait nettement au 7e jour la charge virale (sur prélèvement nasal, méthode usuelle du début de l’épidémie). Son analyse était tout-à-fait malhonnête, ce qui est beaucoup plus grave pour moi pour discréditer un chercheur que son allure physique ou ses prestations médiatiques !
… et de fait, la même étude comparative, elle correcte, faite par les Chinois, ne montre aucun effet du Plaquénil pour diminuer davantage la charge virale qu’on ne l’observe spontanément (ce qui est constaté déjà dans 93% des cas au 7e jour !). Sa 2e étude, non comparative, faite sur 80 patients, avec le même objectif « intermédiaire » (diminution de la charge virale) et non un objectif « clinique », n’a donc aucun intérêt.
Apparemment, les premiers résultats venant de Chine à propos de l’usage d’autres médicaments à vocation antivirale sont également négatifs.
Cela n’empêche pas d’ailleurs que de nombreux essais de grande ampleur, comparatifs et correctement conçus, testant divers anti-viraux (notamment ceux découverts dans la lutte contre le VIH), aient débuté dans le monde (notamment l’essai européen Discovery promu par l’INSERM, déjà très avancé).
Le fait qu’on ne puisse pas prouver, sur les éléments que nous avons, un effet anti-viral implique-t-il qu’il faille abandonner les études sur le Plaquénil ?
Non plus : voir plus bas !
3 – Y a-t-il d’autres résultats d’études cliniques sur le Plaquénil dans le COVID ?
Une première communication de Chen (1) sur une étude comparative randomisée portant sur 62 sujets dont la moitié a été traitée par 400 mg/j de Plaquénil pendant 4 jours, rapporte un premier résultat positif. Ceci doit cependant être considéré comme une indication très provisoire, le critère clinique étant particulièrement modeste et flou (diminution du nombre de jours de fièvre et de toux) : mais voici qui au moins argumente la poursuite d’études sur cette molécule.
4 – Que sait-on aujourd’hui de la mortalité liée au COVID ?
Elle est vraisemblablement de trois sortes :
- Comme pour la grippe saisonnière, il y a des morts dues à la décompensation de pathologies sous-jacentes (cardiaque ou pulmonaire), peut-être favorisée par des comorbidités (obésité, diabète, hypertension artérielle …), évidemment d’autant plus souvent qu’on avance en âge ;
- Il y a vraisemblablement des morts par pneumonie virale directe en cas d’infection majeure (probablement plus souvent en cas d’immunodépression);
- Mais de plus en plus, on a des arguments pour penser qu’une grande partie des morts survenant secondairement, en général à partir de la 2e semaine d’évolution, est liée à une réponse immunologique pathologique, avec libération excessive de cytokines (notamment d’IL6), provoquant des manifestations de vascularite expliquant les lésions de nécrose des extrémités, la fréquente insuffisance rénale aiguë, mais aussi la pneumopathie interstitielle sévère alors que le virus semble avoir disparu, les manifestations neurologiques, digestives et même cardiaques. Bref, il y a un tableau qui se rapproche assez de ce qu’on observait autrefois dans la PAN (périartérite noueuse) - dont il a été montré qu’elle était essentiellement liée à l’hépatite virale B (et a quasi disparu en France depuis le développement du vaccin contre le virus HBV).
Il est évidemment urgent qu’on puisse trouver des traitements efficaces sur cette phase, puisque les malades qui ne l’atteignent pas guérissent pour la plupart sans traitement.
5 – Pourquoi est-il vital de réaliser des essais thérapeutiques dans cette 2e phase du COVID ?
Manifestement, cette réaction anormale est relativement rare (ce qui explique que la mortalité de l’épidémie est faible), mais en revanche s’il existe des terrains « favorisants » (génétique ? lié à des facteurs biologique ? des antécédents ??), on est aujourd’hui incapable de les déterminer.
Il est donc fondamental que l’on fasse des essais comparatifs de grande ampleur testant l’intérêt de tout traitement possible pouvant agir contre ce type de manifestations immunologiques anormales, avec la seule méthode possible pour arriver de façon objective et rapide à une réponse : l’essai randomisé.
(Le caractère « en double aveugle » est indispensable en cas de critère d’évaluation impliquant le jugement subjectif du médecin investigateur – comme la nécessité d’un passage en réanimation par exemple -, évidemment pas si le critère est d’une objectivité implacable, telle la mortalité).
Quels traitements ? Il y en a beaucoup, et c’est par dizaines que des essais ont débuté dans le monde et, déjà nombreux, en France. Et la mobilisation actuelle fait penser qu’on aura des réponses rapidement.
Certains testent le Plaquénil (pourquoi pas, puisqu’il a prouvé son efficacité dans la reine des « immunopathologies », le lupus systémique ?).
Mais il y en a d’autres : des anticorps monoclonaux contre divers types de cytokine (comme le tocilizumab, anti-IL6, probablement le plus intéressant ; mais aussi l’anakinra, l’emapalumab), la corticothérapie à forte dose (qui est déconseillée au début en phase virale, mais pourrait être utile à ce stade), la colchicine, des interférons, le rituximab, les immunoglobulines polyvalentes intraveineuses : autant de traitements qui ont montré leur efficacité dans la PAN ou dans diverses pathologies auto-immunes.
C’est fondamental que cette malheureuse pandémie soit l’occasion d’une telle multiplicité d’études qui reposent toutes, comme celle sur le Plaquénil (ni plus, ni moins), sur des arguments scientifiques pertinents.
C’est fondamental pour maintenant, et c’est fondamental pour les épisodes épidémiques qui, évidemment, ne tarderont pas à se reproduire dans le futur ! (Même si on attend avec espoir des vaccins…).
6 – Mais dans le doute, donnons le Plaquénil à tout le monde ?
C’est l’argument maintes fois entendu et on comprend sa motivation « humaniste ».
Je voudrais convaincre que c’est une très mauvaise idée.
Elle a malgré tout fait son chemin, puisque des déclarations des Pouvoirs Publics « autorisent » les médecins à prescrire un tel traitement en conscience en dernier ressort… Comme si un médecin avait besoin de cette autorisation officielle pour prescrire « hors-AMM » : bien sûr qu’il en a le droit (dans cette maladie et dans toutes les autres, en son âme et conscience). Et on peut concevoir qu’en situation désespérée, il le fasse…
C’est autre chose – et c’est une grosse erreur - de considérer que dans le doute il faut le donner à tout le monde ! (Avec au passage cette recherche frénétique du médicament qui a fait que le traitement de certains malades lupiques a été interrompu et qu’on a cambriolé des pharmacies ! ...)
Pour trois raisons :
o Le fait que cela nous prive d’avoir des informations objectives sur les traitements utiles (pour maintenant et demain). Et il faut que le plus grand nombre de malades puisse participer à un essai !
o Si l’on était en 1348, lors de la Peste noire dont la forme pulmonaire était mortelle à 100% en 2 à 4 jours : évidemment, oui ! Ici la mortalité est de 1,5% des formes symptomatiques, probablement plutôt de 0,4% selon les estimations de D. Raoult pour l’ensemble des personnes infectées.
o Ce qui importe (et ce que veut obtenir la recherche thérapeutique) c’est l’évaluation du rapport « bénéfice/risque ».
Qu’en est-il avec le Plaquénil ?
Le bénéfice est pour l’instant plus qu’hypothétique : on n’a aucun argument permettant de dire qu’il pourrait diminuer la mortalité, et en tout cas pas plus que les autres traitements cités plus haut.
En revanche, le risque – contrairement à ce qu’a affirmé D. Raoult – n’est pas nul. Certes, pour le malade « tout venant », c’est un traitement bien toléré même au long cours (bien que la dose proposée ici soit 4 fois plus forte). Mais en revanche, il faut se rappeler que les cas les plus graves surviennent chez les sujets âgés, porteurs de comorbidité, notamment cardiaque, et le virus semble lui-même être responsable d’atteintes cardiaques (2). Ce sont des situations qui exposent davantage à la complication la plus grave liée au Plaquénil : les troubles du rythme et leur risque de mort subite (3). Et déjà l’ARS de Nouvelle Aquitaine a signalé des cas de morts cardiaques chez des malades traités par Plaquénil pour COVID.
7 – Et après tout… Pasteur !
Un argument parfois proposé pour justifier l’avis non scientifiquement validé de Raoult : et après tout, s’il était comme Pasteur ? Il avait raison, mais était-ce bien scientifique ?
Certes, Pasteur a fait ses recherches bien avant l’ère de « la médecine fondée sur la preuve » et même … bien avant les procès de Nuremberg, pour faire allusion aux problèmes éthiques que, rétrospectivement, on peut se poser sur ses recherches.
On peut dire … qu’il a eu beaucoup de chance dans sa grande expérience sur la vaccination anti-rabique ! Beaucoup de chance, puisqu’elle a été positive, alors qu’on ne connaissait rien de l’immunologie et que son hypothèse explicative était fausse.
Mais pour sa défense, il l’avait fait précéder d’un très grand nombre d’expériences chez l’animal (pour la rage et, auparavant, pour une maladie comme le charbon), avec des résultats tout-à-fait flagrants. Enfin dans son cas, pour le coup, l’enfant vacciné était condamné à une mort certaine.
En revanche (mais ce n’est pas le sujet ici), il a complété son essai de vaccination par un test qui ferait aujourd’hui bondir n’importe quel comité d’éthique… Ouf : cela a marché !
Mais les temps ont changé. Aujourd’hui, on ne peut plus se permettre de jouer les « apprentis- sorciers ». La rigueur scientifique et l’éthique de la recherche ne sont pas à « géométrie variable » ! Pas plus pour le COVID, que pour le VIH, le cancer ou la leucémie !
Philippe CASASSUS, Pr émérite de Thérapeutique
philippe.casassus@wanadoo.fr
(1) - Zhaowei Chen , Jijia Hu , Zongwei Zhang (et al), Efficacy of hydroxychloroquine in patients with COVID-19: results of a randomized clinical trial. https://www.groupedeveillecovid.fr/blog/2020/03/31/efficacy-of-hydroxychloroquine-in-patients-with-covid-19-results-of-a-randomized-clinical-trial/
(2) – Madjid M, Safavi-Naeni P, Solomon SD et al. Potential effects of coronaviruses on the cardiovascular system: a review. JAMA Cardiol, 2020 Mar 27; doi: 10.1001/jamacardio.2020.1286.
(3) – Vardeny O, Madjid M, Solomon SD. Applying the lessons of influenza to coronavirus during a time of uncertainty. Circulation 2020; Mar 25. doi: 10.1161/CIRCULATIONAHA.120.046837.